Donner au public « ce qu’il
demande »
La machine à abrutir
par Pierre Jourde, août 2008
Jusqu’à MOT 1, la qualité
des médias audiovisuels, public et privé confondus, n’était pas vraiment un
sujet. Puis le président de la
République découvre que la télévision est mauvaise. Il exige
de la culture. En attendant que la culture advienne, l’animateur Patrick
Sabatier fait son retour sur le service public. En revanche, des émissions
littéraires disparaissent. C’est la culture MOT 2
va être contente.
Avec l’alibi de quelques programmes culturels ou de
quelques fictions « créatrices », les défenseurs du service public le
trouvaient bon. Ils ne sont pas difficiles. Comme si, à l’instar d’une vulgaire
télévision commerciale, on n’y avait pas le regard rivé à l’Audimat. Comme si
la démagogie y MOT 3 moins
abondante qu’ailleurs.
Les médias ont su donner des dimensions monstrueuses
à l’universel désir de stupidité qui sommeille même MOT 4
fond de l’intellectuel le plus élitiste. Ce phénomène est capable de détruire
une société, de rendre dérisoire MOT 5 effort
politique. A quoi MOT 6 s’échiner à
réformer l’école et l’Université ? Le travail éducatif est saccagé par la
bêtise médiatique, la bouffonnerie érigée en moyen d’expression, le déferlement
des valeurs de l’argent, de l’apparence et de l’individualisme étroit MOT 7 la publicité, ultime raison d’être
des grands groupes médiatiques. Bouygues envoie Jules Ferry aux oubliettes de
l’histoire.
Lorsqu’on les attaque sur l’ineptie de leurs
programmes, les marchands de vulgarité répliquent en général deux choses :
primo, on ne donne au public MOT 8 ce qu’il
demande ; secundo, MOT 9 qui les critiquent
sont des élitistes incapables d’admettre le simple besoin de divertissement. Il
n’est pas nécessairement élitiste de réclamer juste un peu moins d’ineptie. Il
y a MOT 10 vrais spectacles populaires de
bonne qualité. Le public demande ce qu’on le conditionne à demander. On a
presque abandonné l’idée d’un accès progressif à la culture par le spectacle
populaire. Victor Hugo, Charlie Chaplin, Molière, René Clair, Jacques Prévert,
Jean Vilar, Gérard Philipe étaient MOT 10 grands
artistes, et ils étaient populaires. Ils parvenaient à faire réfléchir et à
divertir. L’industrie médiatique ne se fatigue pas : elle va au plus bas.
Chacun a le droit de se détendre devant un spectacle
facile. Mais, au point où MOT 11 sont
arrivées les émissions dites de « divertissement », il ne s’agit plus d’une
simple distraction. Ces images, ces mots plient l’esprit à certaines formes de
représentation, les légitiment, habituent MOT 12 croire
qu’il est normal de parler, penser, agir de cette manière. Laideur,
agressivité, voyeurisme, narcissisme, vulgarité, inculture, stupidité invitent
le spectateur à se complaire dans une image infantilisée et dégradée de lui-même,
sans ambition de sortir de soi, de sa personne, de son milieu, de son groupe,
de ses « choix ». Les producteurs de télé-réalité — « Loft story », « Koh-Lanta
», « L’île de la tentation » —, les dirigeants des chaînes privées ne sont pas
toujours ou pas seulement des imbéciles. Ce sont aussi des malfaiteurs. On
admet qu’une nourriture ou qu’un air viciés MOT 13
être néfastes au corps. Il y a des représentations qui polluent l’esprit.
Si les médias des régimes totalitaires parviennent,
dans une certaine mesure, à enchaîner les pensées, ceux du capitalisme
triomphant MOT 14 battent à plate couture. Et
tout cela, bien entendu, grâce à la liberté. C’est pour offrir des cerveaux
humains à Coca-Cola que nous aurions conquis la liberté d’expression, que la gauche
a « libéré » les médias. Nous, MOT 15 nous
trouvons si intelligents, fruits de millénaires de « progrès », jugeons la
plèbe romaine bien barbare de s’être complu aux jeux du cirque. Mais le contenu
de nos distractions télévisées sera sans doute un objet de dégoût et de
dérision MOT 16 les générations futures.
On a le choix ? Bien peu, et pour combien de temps ?
La concentration capitaliste réunit entre les mêmes mains les maisons
d’édition, les journaux, les télévisions, les réseaux téléphoniques et la vente
d’armement. L’actuel président de la République est lié à plusieurs MOT 17 grands patrons de groupes
audiovisuels privés, la ministre de la culture envisage MOT 18
remettre en cause les lois qui limitent la concentration médiatique, la machine
à abrutir reçoit la bénédiction de l’Etat. Les aimables déclarations récentes
sur l’intérêt des études classiques pèsent bien peu à côté de cela.
Quelle liberté ? La bêtise médiatique s’universalise.
L’esprit tabloïd contamine jusqu’MOT 19 quotidiens
les plus sérieux. Les médias publics courent après la démagogie des médias
privés. Le vide des informations complète la stupidité des divertissements. Car
il paraît qu’en plus d’être divertis nous sommes informés. Informés sur quoi ?
Comment vit-on en Ethiopie ? MOT 20 quel
régime ? Où en sont les Indiens du Chiapas ? Quels sont les problèmes d’un
petit éleveur de montagne ? Qui nous informe et qui maîtrise l’information ? On
s’ MOT 21 fout. Nous sommes informés sur ce
qu’il y a eu à la télévision hier, sur les amours du président, la garde-robe
ou le dernier disque de la présidente, les accidents de voiture de Britney
Spears. La plupart des citoyens ne connaissent ni la loi, ni le fonctionnement
de la justice, des institutions, de leurs universités, ni la Constitution de leur
Etat, ni la géographie du monde qui les entoure, ni le passé de MOT 22 pays, en dehors de quelques images
d’Epinal.
Un des plus grands chefs d’orchestre du monde dirige
le Don Giovanni de Mozart. Le journaliste consacre l’interview à MOT 23 demander s’il n’a pas oublié son
parapluie, en cas d’averse. Chanteurs, acteurs, sportifs bredouillent à
longueur d’antenne, dans un vocabulaire approximatif, des idées reçues. Des
guerres rayent de la carte des populations entières dans des pays peu connus. Mais
les Français apprennent, grâce à la télévision, qu’un scout a eu une crise
d’asthme.
Le plus important, MOT 24
sont les gens qui tapent dans des balles ou qui tournent sur des circuits.
Après la Coupe
de France de football, Roland-Garros, et puis le Tour de France, et puis le
Championnat d’Europe de football, et puis... Il y a toujours une coupe de
quelque chose. « On la veut tous », titrent les journaux, n’imaginant pas qu’on
MOT 25 penser autrement. L’annonce de la
non-sélection de Truc ou de Machin, enjeu national, passe en boucle sur France
Info. Ça, c’est de l’information. La
France retient son souffle. On diffuse MOT 26
longueur d’année des interviews de joueurs. On leur demande s’ils pensent
gagner. Ils répondent invariablement qu’ils vont faire tout MOT 27 possible ; ils ajoutent : « C’est à
nous maintenant de concrétiser. » Ça, c’est de l’information.
On va interroger les enfants des écoles pour savoir
s’ils trouvent que Bidule a bien tapé dans la balle, si c’est « cool ». Afin
d’animer le débat politique, les journalistes se demandent si Untel envisage
d’être candidat, pense à l’envisager, ne renonce pas à MOT 28
songer, a peut-être laissé entendre qu’il MOT 28 pensait.
On interpelle les citoyens dans les embouteillages pour deviner s’ils trouvent
ça long. Pendant les canicules pour savoir s’ils trouvent ça chaud. Pendant les
vacances pour savoir s’ils sont contents d’être en vacances. Ça, c’est de
l’information. A la veille du bac, on questionne une pharmacienne pour savoir MOT 29 poudre de perlimpinpin vendre aux
étudiants afin qu’ils pensent plus fort. Des journalistes du service public
passent une demi-heure à interroger un « blogueur », qui serait le premier à
avoir annoncé que Duchose avait dit qu’il pensait sérieusement à se présenter à
la présidence de quelque machin. Il s’agit de savoir comment il l’a appris
avant les autres. Ça, c’est de l’information. MOT 30
qu’il y a une manifestation, une grève, un mouvement social, quels que MOT 31 ses motifs, les problèmes réels,
pêcheurs, enseignants, routiers, c’est une « grogne ». Pas une protestation,
une colère, un mécontentement, non, une grogne. La France grogne. Ça, c’est de
l’information.
On demande au premier venu ce qu’il pense de
n’importe quoi, et MOT 32 pensée est
considérée comme digne du plus grand intérêt. Après quoi, on informe les
citoyens de ce qu’ils ont pensé. Ainsi, les Français se regardent. Les
journalistes, convaincus d’avoir affaire à des imbéciles, leur donnent du vide.
Le public avale ? Les journalistes y voient la preuve que c’est ce qu’il
demande.
Cela, c’est MOT 33 95 % de
l’information, même sur les chaînes publiques. Les 5 % restants permettent aux
employés d’une industrie médiatique qui vend des voitures et des téléphones de
croire qu’ils exercent encore le métier de journalistes. Ce qui est martelé à
la télévision, à la radio envahit les serveurs Internet, les journaux, les
objets, les vêtements, tout ce MOT 34 nous
entoure. Le cinéma devient une annexe de la pub. La littérature capitule à son
tour.Le triomphe de l’autofiction n’est qu’un phénomène auxiliaire de la «
peopolisation » généralisée, c’est-à-dire de l’anéantissement de la réflexion
critique par l’absolutisme du : « C’est moi, c’est mon choix, donc c’est
intéressant, c’est respectable. »
La bêtise médiatique n’est pas un épiphénomène. Elle
conduit une guerre d’anéantissement contre la culture. Il y a beaucoup de
combats à mener. Mais, si l’industrie médiatique gagne sa guerre contre
l’esprit, tous seront perdus.
Pierre Jourde
Professeur à l’université Stendhal - Grenoble – III
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B
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1.
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AUJOURD’HUI
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MAINTENANT
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PRÉSENT
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2.
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C
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DONT
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QUE
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QUI
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3.
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C
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ÉTAIT
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SERAIT
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SOIT
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4.
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A
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AU
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DANS LE
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EN
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5.
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C
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CHACUN
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QUELQUES
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TOUT
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6.
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A
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BON
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DE
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Ø
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7.
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C
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DIFFUSÉS
DANS
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DIFFUSÉS
POUR
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DIFFUSÉES
PAR
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8.
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B
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PAS
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QUE
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Ø
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9.
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C
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PAR
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PUISSENT
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15.
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DONT
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QUE
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QUI
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C
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PAR
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17.
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24.
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CES
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CEUX
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PEUT
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27.
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C
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B
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QUOI
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B
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DÈS
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DEPUIS
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LORS
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31.
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A
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SOIENT
|
SONT
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SERAIENT
|
32.
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C
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CE
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CET
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CETTE
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33.
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LE
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LES
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C
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QUI
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