LIBERTÉ, ÉGALITÉ, FRATERNITÉ!
TELLES SONT LES DEVISES DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE...ALORS ESSAYONS DE MONTRER QUE HOMMES ET FEMMES SONT ÉGAUX À TRAVERS L'ÉCRITURE ET LA LANGUE.
FÉMINISATION DES NOMS DE MÉTIERS |
ÉCRITURE INCLUSIVE |
Féminisation
des noms de métiers : que dit exactement le rapport de l'Académie ?
Massivement
voté par les «immortels», un texte préconise de valider les
usages d'«auteure» ou de «cheffe». «Libération» décrypte
cette petite révolution.
Une
majorité écrasante : le rapport sur la féminisation des noms de
métier a été adopté jeudi par l’Académie française avec
seulement deux voix contre. Le document avait été rédigé par une
commission présidée par l’historien Gabriel de Broglie (87 ans)
et composée de la romancière et essayiste Danièle Sallenave, du
poète d’origine britannique Michael Edwards et de l’écrivaine
et biographe Dominique Bona.
Cette
adoption est une petite révolution pour l’institution, réputée
très frileuse sur ces questions. Dans les années 90, elle s’était
notamment insurgée contre les emplois de «la ministre» ou «la
députée». Libération a lu le document voté cette semaine.
PHRASE
1
Il
faut d’abord rappeler que vous ne risquez pas de voir débarquer la
police si vous contrevenez aux recommandations de l’Académie
française (et ses membres ne sont d’ailleurs pas habilités à se
servir de leur épée). Le rôle de l’institution fondée en 1634
est simplement de donner un avis non contraignant.
En
outre, sur cette question où elle est maintes fois passée pour une
ringarde, l’Académie a décidé cette fois de ne pas proposer une
bonne façon de parler, mais seulement d’observer comment les
locuteurs du français le faisaient. «Il convient de laisser aux
pratiques qui assurent la vitalité de la langue le soin de
trancher», explique le document. En clair : c’est vous et moi qui
faisons la langue, pas les «immortels».
PHRASE
2
L’Académie
a donc regardé à la loupe nos pratiques, et sa conclusion est sans
appel : «Il n’existe aucun obstacle de principe à la féminisation
des noms de métiers et de professions.» Mieux, cette féminisation
«relève d’une évolution naturelle de la langue, constamment
observée depuis le Moyen Âge» où la langue française acceptait
d’ailleurs déjà «inventeure», «chirurgienne» ou
«commandante»…
PHRASE
3
La
France traverse une «instabilité linguistique», note le rapport de
l’Académie. C’est-à-dire que les évolutions de la place des
femmes dans la société sont encore en cours et nous tentons
d’adapter notre façon de parler quasiment en direct. «Les
tentatives de modification des usages restent hésitantes et
incertaines, sans qu’une tendance générale se dégage», écrivent
les auteurs. Des féminisations différentes d’un même mot
coexistent donc et il faudra encore quelques années pour trancher.
PHRASE
4
Restent
des constantes : en français, pour féminiser on ajoute un «e» à
la fin des mots. Ainsi, l’Académie valide les usages d'«artisane»,
«experte», «croupière», «principale», «plantonne»,
«maçonne», «mécanicienne», «jardinière» ou encore
«cheminote»… «Et si les Français décidaient de porter une
femme à la présidence de la République, on voit mal quelle raison
pourrait s’opposer à l’emploi de la forme féminine
"présidente", attestée dès le XVe siècle.»
PHRASE
5
Autre
usage validé : on décline les mots en «-euse» lorsqu’un verbe
correspond au nom. «On a ainsi "une carreleuse", "une
contrôleuse", "une entraîneuse", tirés des verbes
"carreler", "contrôler", "entraîner"».
Quand
on ne décline pas ainsi, les Français ont tendance à ajouter un
«e» aux mots qui finissent en «-eur» (comme dans «professeure»).
Les plus conservateurs n’aiment pas du tout cet usage. Mais il «ne
constitue pas une menace pour la structure de la langue», rassure
l’Académie.
PHRASE
6
Marguerite
Duras a écrit Dix heures et demie du soir en été, d’accord.
Qu'est-elle alors ? «Il existe ou il a existé des formes
concurrentes, telles que "authoresse" ou "autoresse",
"autrice" […] et plus souvent aujourd’hui "auteure"»,
écrivent les académiciens. Comment choisir ? D’un point de vue de
la langue, «autrice» est plus conforme mais «assez faiblement
usité», sauf dans le monde universitaire. «Auteure» semble donc
en train de gagner cette bataille. «Par ailleurs, s’agissant du
féminin du substantif "écrivain", on constate que la
forme "écrivaine" se répand dans l’usage sans pour
autant s’imposer.» Pour rappel, les académiciens avaient rejeté
«écrivaine» parce qu’on entendait «vaine» dans ce mot. «Sans
se rendre compte que dans écrivain, on entend aussi "vain"»,
s’amuse dans l’Express Maria Candea, corédactrice de l’Académie
contre la langue française : le dossier «féminisation».
PHRASE
7
Les
académiciens ont étudié le mot «chef» et leurs conclusions (ne)
vont (pas) vous étonner. «La langue française a tendance à
féminiser faiblement ou pas les noms des métiers (la remarque peut
être étendue aux noms de fonctions) placés au sommet de l’échelle
sociale.» Eh oui, la langue aussi a son plafond de verre et on
accepte bien plus «infirmière» que «chirurgienne».
Sur
le mot «chef» lui-même, ont existé «la chef», «chèfe»,
«chève» (oui oui), «cheffesse» et «cheftaine». «"Cheffe"
semble avoir aujourd’hui, dans une certaine mesure, la faveur de
l’usage», écrit le rapport sans être véritablement convaincu,
non par sa pertinence sémantique, mais par sa forme qui n’appartient
pas vraiment au «bon usage».
PHRASE
8
Qui
dit «chevalière», «officière» ou «commandeure» ? Personne, et
pourtant ces formes existent bien dans l’administration française
: le Journal officiel les utilise par exemple. Dans le monde
judiciaire, le rapport note que les femmes membres du barreau
«répugnent encore très largement à être appelées "avocates",
bien que cette forme soit reçue de longue date dans l’usage
courant et ait été enregistrée par tous les dictionnaires». Même
chose pour «bâtonnière» ou «avocate générale». Sur ce point,
pas d’avis de l’Académie encore une fois : juste une observation
des pratiques.
PHRASE
9
C’est
la grande vertu de ce rapport : en attendant que se cristallise telle
ou telle forme, continuons de nommer comme on veut (ou peut) les
fonctions ou les métiers des femmes. Il n’est donc plus interdit,
comme c’était le cas jusqu’alors, de donner du «madame
l’académicienne» à une membre de cette institution qui s’offre
avec ce rapport un joli dépoussiérage. En revanche, l’Académie
n’a pas encore prévu de revenir sur l’anathème portée en
octobre 2017 sur l’écriture inclusive, considérée comme rien de
moins qu’un «péril mortel».
Par
Guillaume Lecaplain — 1 mars 2019
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