mercredi 14 mars 2018

MIGRATIONS: HEUREUSES??



Migrations heureuses
L’ancien vice-président de la Banque mondiale se soucie désormais aussi de morale : devenu économiste à l’université d’Oxford, Ian Goldin défend l’ouverture des frontières pour des raisons « tant éthiques qu’économiques ». Selon lui, les mouvements de population profitent aux pays d’accueil, à ceux de départ et donc à la croissance économique. L’évolution démographique rendrait même inéluctable la disparition des entraves à la liberté de circulation : « Les migrations sont une force naturelle et irrépressible PHRASE 1. Mondialisation et migration sont des processus entremêlés qui mènent l’humanité vers un même avenir cosmopolite où les individus, les biens, les idées et les capitaux pourront traverser plus librement les frontières nationales. »
Coécrit avec Geoffrey Cameron et Meera Balarajan, Exceptional People passe en revue les effets positifs des migrations internationales, chiffres à l’appui. Dans les pays développés, les travailleurs étrangers qualifiés soutiennent l’innovation : PHRASE 2, et 64 % des brevets déposés par General Electric l’ont été par des expatriés. Quant aux travailleurs peu qualifiés, ils « stimulent la croissance économique en acceptant des emplois considérés comme peu attractifs par les autochtones » dans le bâtiment, les services à la personne ou l’hôtellerie-restauration, c’est-à-dire des secteurs PHRASE 3. Pourquoi ces emplois pâtissent-ils d’un manque d’attractivité ? La question n’est pas posée. On sait pourtant, comme le rappellent d’ailleurs Alain Morice et Swanie Potot, qu’il est moins coûteux d’utiliser la réserve de main-d’œuvre peu exigeante des pays du Sud que de revaloriser les conditions de travail dans des secteurs soumis à une grande flexibilité et proposant des salaires médiocres.
Mais, sous prétexte qu’il faudrait raisonner sur le long terme et considérer les bénéfices indirects, les auteurs d’Exceptional People minimisent délibérément les effets négatifs de la pression du travail immigré sur les rémunérations : « Même si les salaires diminuent légèrement pour la petite partie de la population en concurrence directe avec des immigrés sur le marché de l’emploi, tous les travailleurs profitent d’une baisse des prix des biens et des services. Dans les années 1980 et 1990, les villes américaines PHRASE 4 ont vu diminuer le prix des services de ménage, de jardinage, de garde d’enfants, de teinturerie et des autres services qui mobilisent une grande quantité de travail humain. » Le tarif réduit des femmes de ménage console-t-il vraiment les employés qui voient leurs salaires baisser ?
Les pays d’émigration sont semblablement considérés du seul point de vue comptable. Ils tirent, selon les trois chercheurs, un immense profit du départ d’une partie de leur main-d’œuvre. Grâce à l’argent qu’ils y envoient (325 milliards de dollars en 2010), PHRASE 5. Et la « fuite des cerveaux » ne serait qu’une « circulation des cerveaux » : ne trouvant pas d’emploi à la hauteur de leurs compétences chez eux, les travailleurs qualifiés chercheraient une terre d’adoption pour les faire fructifier ; mais, une fois armés d’un capital scolaire, social et économique suffisant, ils reviendraient dans leur pays natal. Mieux encore : PHRASE 6, ce qui s’avère une chance pour leur pays, puisque beaucoup ne partiront finalement pas. Aux Philippines, par exemple, « la possibilité d’émigrer pour les infirmières a encouragé le développement d’un système sophistiqué d’éducation privée qui œuvre à l’instruction des femmes pauvres. De nombreuses soignantes restent au pays après leur formation, et aujourd’hui les Philippines comptent plus d’infirmières qualifiées par personne que des pays plus riches comme la Thaïlande, la Malaisie ou le Royaume-Uni. » L’histoire est plaisante, mais on aurait aussi pu envisager que les pays en développement forment leurs citoyens selon leurs besoins réels en main-d’œuvre, et non pour combler les secteurs d’emploi déficitaires des pays développés...
Goldin traite froidement le migrant comme un agent économique PHRASE 7 pour « enrichir l’économie mondiale de 39 000 milliards de dollars en vingt-cinq ans » ; il ignore le déracinement et la « double absence » de l’étranger, ses conditions de vie et de travail. Dans ce livre, largement célébré par la presse que lisent les « décideurs », les Etats du Sud apparaissent comme des réservoirs de travailleurs servant à guérir l’anémie démographique des sociétés occidentales, et l’humain ressemble à une marchandise PHRASE 8.
Benoît Bréville
> Octobre 2011, page 25 > Les livres du mois

ceux qui espèrent migrer sont souvent conduits à suivre une formation
PHRASE 6
dont il prône la libre circulation
PHRASE 7
la moitié des start-up de la Silicon Valley sont dirigées par des migrants
PHRASE 2
les migrants soutiennent l’activité économique de leur pays d’origine
PHRASE 5
que l’on déplace au gré des besoins de l’économie mondiale
PHRASE 8
qui avaient les plus forts taux d’immigration
PHRASE 4
qui ne peuvent pas être délocalisés
PHRASE 3
qui va s’intensifier lors des prochaines décennies
PHRASE 1



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